Shaper Fahd Maroc

Shaper Maroc : Fahd Surfboards, les mains d’un expert

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Le marché des planches de surf est devenu un business très (très) lucratif. De la Hypto Krypto de chez Hyden Shape (shapée par des machines en Thaïlande) en passant par les nouveaux longboards en carbone du célèbre shaper Hawaiien Donald Takayama, des shapes de plus en plus extravagants et des matériaux d’exceptions servent d’excuses pour proposer des prix exorbitants. Bien que tout cela encourage l’évolution de notre sport, l’objectif principal étant avant tout de nous faire sortir quelques billets de plus lors de l’achat de nouvelles boards. Mais n’augmentera pas notre niveau de surf. Bien heureusement il reste encore une multitude de shapers qui façonnent nos jouets préférés à la main. L’un d’entre eux, Fahd, marocain vivant à Agadir et travaillant à Tamraght (petit village entre Agadir et Taghazout), l’un des points névralgiques du développement du surf au Maroc. shaper Maroc

L’atelier de Fahd shaper Maroc

Ici pas de panneau, de grande bannière flottant fièrement, même pas de logo ni d’affiche, l’atelier de Fahd se reconnaît grâce au nombre considérable de planches séchant au soleil devant la « shape room ».

C’est le masque sur le visage, le rabot à la main et le corps rempli de poussière de polyester que nous retrouvons Fahd dans son atelier. Il fait chaud et pourtant le grand rideau de fer est clos pour que seule la lumière blanche des spots lumineux intérieurs fasse ressortir sur les murs bleus les courbes de la planche en devenir, trônant fièrement sur des tréteaux. shaper Maroc

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Pourrais-tu te présenter rapidement ? shaper Maroc

Je m’appelle Fahd j’ai 36, je fabrique des planches de surf, depuis un petit moment maintenant, quasiment 16 ans. Je travaille dans mon atelier à Tamraght.

Comment as-tu commencé à Shaper ? shaper Maroc

Initialement, ce sont mes amis qui m’ont mis dans le shape. Ils m’emmenaient leurs planches et comme, grâce à mes études je connaissais déjà bien le travail de la résine alors ils m’obligeaient à les réparer (rires). Puis petit à petit c’est devenu comme une drogue, toucher les rails, poncer le pain de mousse, et surtout transformer un bout de polystyrène en planche de surf c’est quelque chose d’incroyable.

Comme il nous était impossible d’acheter du matos, on attendait la saison pour racheter des vielles planches aux touristes, on a commencé le surf de cette manière, ensuite il fallait réparer les planches des copains et de fil en aiguille, comme renouveler le matériel était bien trop cher, grâce aux modèles de vieilles planches, j’ai commencé à shaper ma propre board et ça a fonctionné.

Pour être shaper, faut-il être forcément surfeur ? shaper Maroc

Ah oui, pour être shaper il faut être surfeur à 100%, c’est impossible d’être shaper sans être surfeur.

As-tu encore le temps pour surfer ? shaper Maroc

Oui, je prends toujours le temps d’aller surfer. Et si mes journées sont trop chargées, je me lève plus tôt et je vais surfer avant le travail, et avant les foules. Même si de temps en temps je m’autorise une session durant la journée, à condition d’avoir été suffisamment productif durant la matinée, ou le soir s’il j’ai peu de réparation à effectuer. Il faut aussi faire attention au soleil, car les produits chimiques utilisés pour la fabrication d’une planche demandent une certaine température pour se rigidifier etc. Je garde toujours en tête que l’activité principale se concentre sur 6 mois, et que les 6 mois qui suivent sont plus difficiles financièrement, donc il faut bien anticiper et organiser son emploi du temps rigoureusement.

Êtes-vous beaucoup de shapers au Maroc ? shaper Maroc

Il me semble que je suis le seul shaper marocain, mais en ce qui concerne les shapers au Maroc, il y en a un autre vers Casablanca qui est américain, ce qui lui confère un avantage certain, notamment en ce qui concerne la négociation des matières premières car grâce à son passeport il peut voyager plus facilement, faire des contrats à l’étranger etc. Alors que moi je dois m’approvisionner tout en négociant par internet ou par téléphone.

Quelles sont les difficultés pour shaper une planche ici ?  shaper Maroc

La première difficulté et la plus importante de toute c’est la question de l’approvisionnement de matériel. Ça prend beaucoup de temps et ça me coûte très cher, il faut avoir suffisamment de fonds disponibles.

Comment travailles-tu ? (Quelles sont les étapes de shape d’une planche) shaper Maroc

Dès que je reçois un pain de mousse je le travaille en fonction du modèle voulu en suivant le template (patron). C’est l’outline de la planche. Une fois que l’outline est tracée il y a le découpage et le shape qui correspond au travail, du rocker, des rails, du nose, du tail, du concave et de toutes les particularités propres à un modèle ou même à une seule planche en fonction des attentes ou des volontés du surfeur. Ensuite il faut installer les plugs de dérives, soit en FCS II soit en Future Fins. Tout cela est « préglass' » c’est à dire que ce sont toutes les étapes qui précèdent le glaçage, qui viendra après. Aujourd’hui il y a même le plug de leash qui se fait en préglass’. Après il faut stratifier (mettre le papier de fibre afin de solidifier le pain de mousse), appliquer le gloss et terminer par le glaçage. Il y a deux types de glaçage, le glaçage UV et normal (en catalyseur). Quand il y a trop de travail je privilégie le glaçage UV, c’est exactement la même qualité mais beaucoup plus rapide, c’est un truc magique. La seule différence c’est le temps et le coût, forcément ça me revient plus cher. De temps en temps il y a le polissage afin de rectifier les éventuels défauts du glaçage (bulle d’air entre autres) qui peut demander plus d’une heure de boulot.

Comment développes-tu tes modèles ? shaper Maroc

La grande partie du développement des modèles se fait avec les templates. Je dispose de plus de 100 templates. Imagine toutes les combinaisons possibles avec ça ! Je prends le nose d’un longboard, je l’associe avec les rails d’une autre planche pour les ajouter au tail d’un shortboard. J’adapte le tout et je sors un nouveau modèle, tu peux faire des combinaisons de courbes à l’infini. Il juste avoir l’œil, pour créer quelque chose d’harmonieux avec des propriétés qui fonctionneront une fois dans l’eau. C’est un travail complet d’imagination et de création. Mais ceux qui te donnent les idées ce sont les surfeurs, en fonction de leur style, de leur surf, de leurs préférences. Grâce à leur volonté d’essayer des shapes innovants, ils me poussent à aller toujours plus loin dans ma recherche. C’est d’ailleurs l’une de mes grandes motivations au développement de nouveaux modèles plus expérimentaux, aux propriétés extravagantes. Travailler des planches hors des standards classiques est un gros avantage lorsque je retourne à des shapes traditionnels, ça me permet d’avoir une vision plus globale de ce que peut être une planche de surf. C’est un travail complémentaire entre le shaper et le surfeur, s’il n’y a pas de surfeur il n’y a pas de shaper et inversement.

Peux-tu nous présenter une de tes planches ? shaper Maroc

C’est la planche que j’utilise et que j’ai shapé pour Elsa. C’est une planche courte avec du volume au nose et assez fine au niveau du tail, et avec un single deep concave pour la vitesse. Cette planche est caractéristique grâce à son tail un peu spécial. On pourrait le décrire comme un gros square cassé avec un mini fish au milieu, pour avoir presque un double square tail. Elle démarre très facilement grâce à son large volume au nose. Tu peux tout surfer avec ça, en fonction des dérives que tu installes, c’est une planche très rapide, qui se tourne très bien.

Shaper Maroc

Comment tu vois l’explosion du surf au Maroc ?

Pour moi je trouve que c’est une bonne chose pour tout le monde, tu peux demander à beaucoup de personnes, le tourisme profite quand même pas mal aux locaux aussi. Ce que l’on peut regretter c’est tout de même l’ambiance à l’eau qui a changé, sur un seul spot surtout, c’est la Pointe (Anchor point). Y’en a qui viennent juste pour surfer la pointe, ils n’ont jamais mis le bout de leur nose sur les autres spots… Faut voir que ça ne concerne pas seulement l’industrie du surf, tout le monde peut gagner sa part, comme par exemple les taxis, les restaurants, les loueurs de voitures, les épiciers, les hôtels. Le problème c’est peut-être les gros industriels qui dirigent le domaine du tourisme, qui n’ont d’ailleurs rien à voir avec nous, ils n’ont même rien à voir avec le tourisme… C’est uniquement des businessmans qui ne voient que les profits, et non l’impact que leur activité peut avoir sur les populations, et les territoires… Ils ont oublié qu’il y a d’autres moyens pour rendre les paysages plus harmonieux que des grands blocs de bétons.

 Si l’activité continues d’augmenter formerais-tu un apprenti shaper, pour avoir quelqu’un qui travaille avec toi ?

Pas seulement un. Je vais en prendre plusieurs avoir moi, après la formation, il y en aura spécialisés en glaçage, en ponçage, en shape. J’ai déjà prévu un terrain de 100 m2 sur lequel je vais construire un nouvel atelier. Je ne sais pas encore pour quand, ça va dépendre du boulot, si ça marche bien cette année, je vais commencer la construction rapidement. Je compte aussi sur le soutien du gouvernement, sinon c’est impossible.

Depuis combien de Temps tu connais Elsa et Youssef ?

Je connais Youssef depuis que j’ai commencé le surf. Le premier jour où j’ai appris à surfer, au 14 (plage d’Imourane), j’ai rencontré Youss’, on a discuté, en plus on avait des points communs comme la pêche. Il surf tout le temps, tous les jours, les grosses vagues, sous le vent, sous la pluie, c’est un vrai waterman mais c’est surtout un vrai ami. Et comme il casse beaucoup de planches il me donne pas mal de boulot ! (rires)

Merci Fahd.

De rien, merci à toi.

Fahd le Shaper – Maroc – OuiSurf en Afrique from OuiSurf on Vimeo.

C’est sur la simplicité des rires d’une personne passionnée que je quitte Fahd, avec la furieuse envie de lui commander quelques planches… Je lui souhaite beaucoup de réussite dans tous ses projets, de shaper un max de boards et de surfer encore un max de vagues !

Propos recueillis par Paul R.